B-R & H Finance ● Les 4 saisons

Mi-juin 2025 - Spécial Art

© Sora - mljn - Iconic Bowtie Statue

Art Basel 2025 a ouvert ses portes dans un décor parfaitement rodé : allées feutrées, galeries internationales, champagne au frais. En apparence, rien n’a changé. Mais derrière les sourires polis et les installations léchées, l’ambiance est plus tendue qu’à l’accoutumée. Le marché est sous pression. Les gros acheteurs d’hier; boomers collectionneurs, musées, fondations privées lèvent le pied. Le relais ne vient pas aussi vite que prévu. Les jeunes acheteurs sont là, certes, mais ils cherchent autre chose.

Les galeries, elles, jonglent. Entre le désir d’innover et la peur de ne pas vendre, elles misent sur des valeurs sûres du siècle dernier. Mais on sent bien que la magie opère moins.

Revue de marché

Ira, ira pas

Le Moyen-Orient s’est une nouvelle fois invité sur les marchés. L’attaque israélienne contre des infrastructures sensibles en Iran a provoqué un mini-séisme. Sans surprise, les investisseurs ont cherché refuge. L’or a bondi de 1.1 %, dépassant brièvement les Usd 3'400 (+29 % depuis le début de l’année). Le pétrole a pris plus de 12 % en une journée, mais n’affiche qu’un modeste +0.91 % en ytd.

Pas de panique généralisée pour autant. Les marchés actions ont reculé vendredi dernier, mais sans débâcle. Il faut dire que l’attaque, aussi ciblée soit-elle, semble avoir été calibrée pour faire mal, sans tout casser. Résultat : on n’est pas encore dans un scénario de crise majeure, mais la prime de risque a clairement repris l’ascenseur (VIX à 21.56 %).

L’Iran, septième producteur mondial, avec 3.3 millions de barils/jour et 1.7 million exportés, est au cœur des tensions.

Donald Trump semble vouloir entrer dans la danse. Il donne de la voix et serre les dents, les marchés se crispent. Mais il faut bien reconnaître que ces dictatures, type Iran ou Corée du Nord, qui veulent imposer leurs lois au reste du monde, deviennent franchement fatigantes.

Si l’escalade se poursuit, c’est toute la mécanique inflationniste qui pourrait repartir, poussant les banques centrales à reconsidérer (encore) leurs plans de baisse de taux.

Autre victime collatérale : l’aéronautique. La fermeture de l’espace aérien au-dessus d’Israël, de l’Iran, de l’Irak et de la Jordanie a fait chuter les compagnies aériennes. Le crash d’un Boeing en Inde (plus de 240 victimes) a entraîné GE Aeronautics dans son sillage.

Et puis il y a l’indicateur que personne ne surveille : le Pentagon Pizza Index. Chaque fois qu’il flambe, une crise n’est pas loin. Et devinez quoi ? Mercredi 11 et jeudi 12, la consommation de pizzas au Pentagone a explosé.

Nous sommes enthousiastes quant à l’arrivée de Luca de Meo chez Kering (-25.36 % en ytd). Le patron de Renault fait le grand écart entre l’industrie automobile au marché du luxe. De la nouvelle R5 (très réussi) aux sacs Gucci et sneakers Balenciaga. L’annonce a fait bondir le titre Kering (en net recul aujourd’hui), tandis que celui de Renault a chuté dans des proportions comparables.

Mention spéciale à l’indice coréen (le Kospi), qui gagne 9.31 % en ce début de mois grâce à des achats massifs d’institutionnels étrangers, misant sur des droits de douane plus accommodants que prévu. Le Dax et le SMI, eux, affichent une performance négative en ce début de mois (-2.04 % et -1.16 % respectivement).

Quelques chiffres

  • Usd 10.2Mrd : c’est le total dépensé aux enchères pour des œuvres d’art (fine art) en 2024 ; une chute de 27.3% par rapport à l’année précédente.

  • 9 : c’est le nombre de femmes figurant parmi les 100 artistes les plus vendus aux enchères en 2024 ; elles étaient 11 en 2023.

  • -44.2% : baisse des revenus générés par les œuvres vendues au-dessus de Usd 10mio ; soit un manque à gagner de Usd 1.34Mrd.

  • -37.9% : recul des ventes aux enchères d’artistes ultra-contemporains (nés après 1974) entre 2023 et 2024.

  • -27.9% : chute des ventes totales d’art enregistrées par les trois grandes maisons; Sotheby’s, Christie’s et Phillips entre 2023 et 2024.

Editorial

L’art n’a plus la cote

La tendance se confirme : en 2024, le marché de l’art a péniblement atteint les Usd 57.5Mia, soit... exactement le même niveau qu’en 2010 (source rapport UBS / Art Basel). Du surplace, alors même que le nombre de milliardaires a triplé et que leur fortune a été multipliée par six. Étonnant ? Pas vraiment, les boomers ont été de grands collectionneurs ; aujourd’hui, ils lèguent ou ils vendent. Leurs enfants ? Ils n’ont plus le temps, collectionner semble être un passe temps démodé.

Trois œuvres seulement se sont vendues à plus de Usd 50mio en 2024. C’était six en 2023, dix en 2022 (source ARTnet). Les ventes d’œuvres au-dessus des Usd 10mio ont plongé de 39%. Forcément, les marges des galeries en prennent un coup. L’art contemporain et ultra-contemporain domine avec 48% de parts de marché, suivi par l’art moderne et d’après-guerre à 29%. Mais il ne faut pas l’oublier : ce qui est "contemporain" aujourd’hui deviendra "poussiéreux" demain. Le marché lutte contre le temps, tente de figer les artistes dans une éternelle jeunesse. On ressort les vieilles gloires, on organise des rétrospectives, on les fait remonter à la surface dans les foires ou les ventes aux enchères. Mais les vagues s’amenuisent... et beaucoup sombrent dans une mer d’oubliés (voir section Patrimoine).

Pour survivre, les galeries misent sur les "first time buyers" : entre 28% et 45% de leurs ventes annuelles. Il faut sans cesse renouveler le vivier. Après la Chine et la Russie, le Moyen-Orient devient le nouvel eldorado. Tout le monde s’y précipite pour “éduquer” à tour de bras. Ce n’est pas un hasard si l’ArtReview Power 100 est désormais dominé par la Shaikha Hoor Al Qasimi de la Sharjah Art Foundation. En 2024, les millennials et Gen Z représentaient un quart à un tiers des enchérisseurs, doublant leur présence en cinq ans. Au Moyen-Orient, 58% des nouveaux acheteurs ont moins de 40 ans.

Et pourtant, les locomotives de l’art contemporain sont en panne. À Art Basel 2025, les pièces phares sont signées d’artistes du siècle dernier. Tristesse…

Où sont passés les enfants terribles ? Hirst, Koons, Mapplethorpe ? Oubliés (temporairement). Cattelan surnage. La relève se fait attendre. Néanmoins, il faut absolument voir à Art Basel Unlimited, l’oeuvre de Felix Gonzalez-Torres (1957-1996) qui s’intitule “Go-Go Dancing Platform”, présentée par Hauser & Wirth.

La galerie Hauser & Wirth (toujours elle) se diversifie avec des restaurants et hôtels, façon LVMH. Mais la magie n’opère plus. Les galeries s’abîment dans des concepts tirés par les cheveux, des narratifs verbeux pour tenter de provoquer une émotion. À force de vouloir "faire sens", l’art a oublié d’être beau, ou subversif, ou les deux.

Dernier exemple en date ? Artsy et son édito "30 artists defining queer art now". Comme si connaître la sexualité d’un artiste ajoutait à la puissance de l’œuvre... Caravage était un meurtrier, Schiele un obsédé, Artaud un fou. L’œuvre survit sans biographie. Le reste, c’est du marketing.

Le marché s’est institutionnalisé. Les galeries sont à vendre, les fondations pullulent, on fait dans l’instagrammable. Mention spéciale au MOCO d’Amsterdam, probablement un des pires musées visités à ce jour.

Alors, que se passe-t-il ? Instagram avait déjà nivelé l’art par l’image. Richard Prince avait flairé le coup. Mais l’IA, elle, a tout bouleversé : elle produit des milliards d’images sur demande. Ce qui était jadis subversif, ou l’apanage de l’artiste (Gursky et ses photos XXL), est désormais accessible à tous. L’image se virtualise, l’art se dématérialise. Un tournant aussi radical que l’arrivée de la photographie ou le surgissement surréaliste de l’urinoir de Duchamp (?). Mais cette bascule technologique s’accompagne d’une autre, plus silencieuse : la fragmentation du public acheteur. Les baby-boomers lèvent le pied, certes, mais la génération suivante ne prend pas automatiquement le relais. La culture visuelle s’est dissoute dans le flux. Combien de trentenaires aujourd’hui peuvent identifier un Mondrian, un Rothko , un Jasper Johns ou un Sol Lewitt ? L’héritage artistique n’est plus une évidence. C’est une option. Et elle n’est plus cochée.

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Patrimoine

La postérité a ses favoris

Nous cherchons à définir une grille d’investissement pour l’art moderne, contemporain et ultra-contemporain. L’exercice a déjà été tenté, et souvent avec talent. Ici, aucune prétention. Juste une tentative de réflexion.

Commençons par l’art moderne. Régulièrement, on redécouvre des oubliés : Rayse, Buffet, Hartung, Poliakoff… et c’est reparti pour un tour. Si vous êtes en amont de la spirale, vous pouvez en profiter. En aval, il faut que l’histoire accroche durablement et cela reste rare.

Dix qui résisteront à l’épreuve du temps

Partons d’un postulat arbitraire: l’histoire de l’art ne retiendra que dix artistes majeurs par siècle, gravés dans les manuels, accrochés dans les musées et disputés à coups de millions chez Christie’s. Les autres ? Ils ne disparaissent pas pour autant, mais ils occupent souvent une place secondaire, comme témoins d’une époque ou faire-valoir d’un courant. C’est ce qui distingue, souvent, une œuvre d’un objet décoratif.

Bien sûr, c’est un raccourci brutal. Mais il permet d’organiser la pensée. On commence à faire des listes, à les critiquer, à les ajuster. On se construit une grille de lecture. Une grille qui permet de mieux comprendre, mieux voir, mieux évaluer.

Parce qu’il faut bien commencer quelque part, voici la nôtre. Et parce que nous sommes des enfants du XXe siècle, nous avons séparé les 120 dernières années en trois périodes : 1900–1945 (les avant-gardes), 1945–1980 (la scène américaine), et 1980 à nos jours (le branding artistique):

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Pour simplifier, nous avons volontairement laissé de côté les sculpteurs (par ex.: Le Bernin, Moore, Calder, Giacometti, Rodin…) et les photographes (Cindy Sherman, Gustave Le Gray, Wolfgang Tillmans, Nadar…). Non pas par manque d’intérêt, mais pour rester dans un cadre lisible.

Du XVe jusqu’à l’avant-garde du XXe siècle, huit noms sur dix s’imposent sans trop de débats. Certes, l’absence de Murillo, Dubuffet, Klimt ou Millet en choquera certains, mais c’est la limite du propos. Tous les artistes de ces six premières périodes ont un point commun : leur cote est solide, recherchée, et l’offre est rare. Le marché les a consacrés… puis verrouillés.

Vers une grille d’évaluation artistique

Nous avons identifié neuf critères pour tenter d’évaluer un artiste sous un angle à la fois esthétique, critique et patrimonial. Certains sont mesurables (le marché, la reconnaissance), d’autres relèvent de l’intuition (la pérennité, l’universalité). Cette grille ne prétend pas juger de la qualité d’un artiste, mais plutôt de sa capacité à inscrire son œuvre dans la durée, l’histoire, et le marché.

Voici les 9 critères :

  1. Influence historique : L’artiste (v)a-t-il changé(er) le cours de l’histoire de l’art ?

  2. Innovation formelle : A-t-il introduit un nouveau langage visuel ou technique ?

  3. Reconnaissance de son vivant : Est-il collectionné, exposé, soutenu ?

  4. Unicité / Reconnaissabilité : Peut-on l’identifier sans lire l’étiquette ?

  5. Validation du marché : Sa cote est-elle solide, suivie, institutionnelle ?

  6. Pérennité probable : A-t-il des chances de rester pertinent dans 30 ans ?

  7. Portée universelle : Son œuvre résonne-t-elle au-delà de son contexte ?

  8. Poids critique / académique : Fait-il l’objet d’analyses, de réflexions durables ?

  9. Gestion de carrière : Son parcours est-il cohérent, intelligemment construit ?

Maintenant, appliquons cette grille à deux artistes que tout oppose: Albrecht Dürer (1471–1528) vs Maurizio Cattelan (1960–) : l’un est graveur, théoricien, dévot du détail ; l’autre iconoclaste, farceur et provocateur. Mais tous deux ont su imposer un style immédiatement reconnaissable et une posture d’artiste très consciente de son époque.

Total sur 45 :

  • Albrecht Dürer : 43/45

  • Maurizio Cattelan : 33/45

Dürer, c’est la rigueur et l’intemporalité. Il a inventé une forme d’artiste moderne avant l’heure : érudit, édité, autonome. Son œuvre traverse les siècles.
Cattelan, c’est le commentaire de son temps, le miroir acide de notre époque hyper-médiatique. Sa puissance est là, mais sa postérité reste un pari. Il amuse, choque, fait réfléchir.

L’art ne reproduit pas le visible; il rend visible 

Bosuet

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